Le choix d’une méthode de sélection des candidats se fonde sur plusieurs critères, en particulier :
- Le coût
- L’expérience candidat
- Le niveau de prédictivité de la performance professionnelle
- L’équité (garantir un recrutement inclusif)
Un autre critère est souvent négligé : l’utilité. Plus une méthode de sélection est prédictive, plus elle permet de réaliser de meilleures embauches. C’est un argument en soi convaincant. Mais une entreprise pourrait aussi se demander quel gain économique elle réalise grâce à ces meilleurs recrutements. Ce gain économique correspond à l’utilité. Introduite par Brogden en 1949 [1], cette notion a donné lieu à de nombreux travaux en psychologie du travail [2, 3, 4].
L’utilité s’exprime en termes monétaires, c’est une information pratique et tangible. Ce critère est pourtant largement ignoré par les recruteurs et les entreprises [5]. Ce constat renvoie à l’intérêt d’un recrutement fondé sur des preuves.
Les facteurs déterminant l’utilité
L’utilité d’une méthode de sélection dépend de trois facteurs :
- Sa validité prédictive (dans quelle mesure elle prédit la performance professionnelle future)
- La variabilité de la performance professionnelle
- Le taux de sélection (la proportion de candidats recrutés)
La validité prédictive
L’utilité dépend tout d’abord de la validité prédictive. On la note rxy car elle correspond à la corrélation (r) entre les scores des candidats à la méthode de sélection (x) et la performance professionnelle (y). Les figures 1 et 2 illustrent l’effet de la validité prédictive. Le score à partir duquel un candidat est recruté est 105 (ligne rouge), et les managers considèrent que les candidats dont la performance est supérieure à 103 sont performants (ligne verte).
La figure 1 montre un cas de figure où la validité prédictive de la méthode de sélection est faible (elle corrèle à 0.10 avec la performance professionnelle). On voit que 8 candidats sont recrutés (leur score est supérieur à 105) et parmi eux, 4 sont performants (performance supérieure à 103). La proportion de travailleurs performants parmi les candidats recrutés est donc 4 / (4 + 4) = 50 %.
La figure 2 montre un cas de figure où la validité prédictive de la méthode de sélection est bonne (elle corrèle à 0.50 avec la performance professionnelle). Sur les 8 candidats recrutés, 7 sont performants. La proportion de travailleurs performants parmi les candidats recrutés est donc 7 / (7 + 1) = 87.5 %.
En résumé, plus une méthode de sélection est prédictive, plus la proportion de travailleurs performants parmi les candidats recrutés est élevée, et donc plus le gain économique par candidat recruté est plus important. Or, la validité prédictive des méthodes de recrutement est aujourd’hui largement documentée dans la littérature scientifique : on sait lesquelles prédisent le mieux la performance professionnelle, et ce sont celles-là que les recruteurs devraient privilégier.
La variabilité de la performance professionnelle
L’utilité dépend ensuite de la variabilité de la performance professionnelle. Supposons qu’une entreprise utilise, pour un poste donné, une méthode de sélection présentant une bonne validité prédictive. Si les candidats recrutés sur ce poste ont tous le même niveau de performance (aucune variabilité), l’utilité de la méthode de sélection est nulle.
A l’inverse, plus les candidats recrutés ont un niveau de performance variable (certains sous-performent, d’autres ont une performance moyenne, et d’autres encore surperforment), plus la prédictivité de la méthode – sa capacité à identifier les candidats qui surperformeront une fois en poste – se traduit par un gain économique pour l’entreprise. Les études montrent que la performance professionnelle est souvent très variable, par exemple pour des postes de commercial ou développeur [6].
Dans le calcul de l’utilité, la variabilité de la performance professionnelle est convertie en termes monétaires : on considère l’écart-type de la performance sur un poste donné exprimé en euros, noté SDy. Par exemple, si SDy = 10k €, un employé à un écart-type au-dessus de la moyenne (donc performant) rapporte 10k € de plus à l’entreprise qu’un employé moyen.
Comment savoir la valeur de SDy ? Les chercheurs recommandent d’appliquer la règle des 40 % : SDy est égal à au moins 40 % du salaire moyen pour un poste [7, 8]. Par exemple, si le salaire annuel moyen d’un poste est de 50k €, SDy est égal à au moins 20k €.
Le taux de sélection
L’utilité dépend enfin du taux de sélection. La figure 3 montre un cas de figure où la validité prédictive de la méthode de sélection est bonne (elle corrèle à 0.50 avec la performance professionnelle) et le taux de sélection est très faible (un candidat est recruté si son score est supérieur à 107). Sur les 4 candidats recrutés, tous sont performants. La comparaison des figures 2 et 3 montre que plus le taux de sélection est faible, plus la proportion de travailleurs performants parmi les candidats recrutés est élevée, et donc plus le gain économique par candidat recruté est important.
On voit au travers des figures 2 et 3 que le taux de sélection détermine le score moyen des candidats sélectionnés à la méthode utilisée. Plus le taux de sélection est faible, plus ce score moyen est élevé. Dans le calcul de l’utilité, on considère la moyenne des scores centrés-réduits (scores z), notée Zs.
Le calcul de l’utilité
Pour obtenir la formule complète de l’utilité d’une méthode de sélection, il faut aussi considérer le coût de sa mise en place. En notant Na le nombre de candidats, C le coût de la méthode par candidat (par exemple, le coût de la passation d’un test), et Ns le nombre de candidats recrutés, la valeur (Na * C) / Ns correspond au coût moyen de la méthode par candidat recruté.
On arrive ainsi à la formule de l’utilité, connue sous le nom de formule de Brogden-Cronbach-Gleser. Lorsqu’une entreprise remplace une méthode de sélection existante par une nouvelle méthode, le gain d’utilité par candidat recruté et par an (∆U) est :
- ∆rxy : différence de validité prédictive entre la nouvelle méthode de sélection et l’ancienne
- SDy : écart-type de la performance professionnelle exprimé en euros
- Zs : score z moyen des candidats sélectionnés à l’aide de la nouvelle méthode (fonction du taux de sélection)
- Na : nombre de candidats
- C : coût de passation de la méthode de sélection par candidat
- Ns : nombre de candidats recrutés
Prenons un exemple concret. Pour recruter ses développeurs, une entreprise utilisait un test dont la validité prédictive est de 0.10. Celui-ci est remplacé par un nouveau test dont la validité prédictive est de 0.40. Cette entreprise lance une campagne de recrutement, avec les informations suivantes :
- Nombre de candidats : 100
- Nombre de candidats recrutés : 10
- Coût par candidat évalué (C) : 50 €
- Ecart-type de la performance professionnelle (SDy) : 30k €
- Score z moyen des candidats recrutés (Zs) : 0.8 (le score moyen des candidats recrutés est 0.8 écart-type au-dessus du score moyen de l’ensemble des candidats)
Le gain d’utilité par développeur recruté et par an est :
En utilisant le nouveau test, l’entreprise réalise un gain de 6700 € par développeur recruté, par an. Si elle recrute 10 développeurs par an, et que chaque développeur reste en moyenne 3 ans dans l’entreprise, le gain économique total est de 201 000 €.
Conclusion
Le choix d’une méthode de sélection des candidats repose sur plusieurs critères, dont l’utilité fait rarement partie. Pourtant, en traduisant la validité prédictive d’une méthode en termes monétaires, l’utilité fournit à l’entreprise une donnée concrète : le gain économique associé à sa mise en œuvre. Cette notion gagne à être connue par les recruteurs et les entreprises afin d’ancrer les choix et les pratiques de recrutement dans des considérations plus factuelles et rationnelles.
Références
[1] Brogden, H. E. (1949). When testing pays off. Personnel Psychology, 2, 171–183.
[2] Boudreau, J. W., & Rynes, S. L. (1985). Role of recruitment in staffing utility analysis. Journal of Applied Psychology, 70, 354–366.
[3] Cabrera, E. F., & Raju, N. S. (2001). Utility analysis: Current trends and future directions. International Journal of Selection and Assessment, 9(1-2), 92–102.
[4] Cascio, W. F., Boudreau, J. W. (2008). Investing in People: Financial Impact of Human Resource Initiatives. New Jersey: FT Press.
[5] Chorągwicka, B., & Janta, B. (2008). Why is it so hard to apply professional selection methods in business practice? Industrial and Organizational Psychology: Perspectives on Science and Practice, 1(3), 355–358.
[6] Hunter, J. E., Schmidt, F. L., & Judiesch, M. K. (1990). Individual differences in output variability as a function of job complexity. Journal of Applied Psychology, 75, 28–42.
[7] Schmidt, F. L., & Hunter, J. E. (1983). Individual differences in productivity: An empirical test of estimates derived from studies of selection procedure utility. Journal of Applied Psychology, 68, 407–414.
[8] Schmidt, F. L., Mack, M. J., & Hunter, J. E. (1984). Selection utility in the occupation of U.S. Park Ranger for three modes of test use. Journal of Applied Psychology, 69, 490–497.