Le recrutement des employés magasin saisonniers chez un acteur majeur de la grande distribution

Le recrutement des employés magasin saisonniers chez un acteur majeur de la grande distribution

L’objectif de cette étude était d’optimiser la procédure de recrutement des employés magasin saisonniers dans un point de vente d’un acteur majeur de la grande distribution en France. L’intervention a consisté à standardiser les deux outils utilisés pour la sélection des candidats : le CV et l’entretien. Les résultats montrent que l’entretien standardisé (ou structuré) prédit mieux les futures évaluations professionnelles des candidats recrutés que l’entretien traditionnel (non structuré).

117 %
Augmentation de la validité prédictive

Note : Cette étude a été réalisée par Jessica Schmitt pour son mémoire de M2 dans le cadre du Master Psychologie du travail & Ergonomie (parcours « Evaluation des personnes et des systèmes ») de l’université de Lorraine. L’analyse des données a été enrichie a posteriori par Pipl Analytics.

Contexte

Chaque année, le magasin en question doit mettre en place un recrutement d’une cinquantaine d’employés magasin pour la saison estivale (de juin à septembre) afin de remplacer les départs en congés de ses collaborateurs mais également pour faire face aux surcroîts d’activités relatifs à cette période. Les employés magasins sont chargés de l’organisation d’un rayon, à savoir l’approvisionnement et le rangement des articles, l’affichage des prix ainsi que le maintien en état des réserves.

Le recrutement des saisonniers, et plus généralement le recrutement pour les postes d’employés, s’effectue de la façon suivante : les candidats sont présélectionnés sur leur CV, puis passent un entretien traditionnel (non structuré).

Optimisation des outils de sélection

Le travail méthodologique a consisté à standardiser l’analyse des CV par le développement d’un inventaire biographique, ainsi que la conduite des entretiens via la mise en place d’un entretien structuré.

Développement de l’inventaire biographique

Un inventaire biographique est un outil construit de manière empirique et sur-mesure, spécifiquement pour un poste donné au sein d’une entreprise donnée. Il correspond aux informations biographiques (formation, expériences, parcours, etc.) qui prédisent le mieux la performance professionnelle dans le contexte précis du poste concerné.

Dans sa forme la plus simple, un inventaire biographique peut être élaboré à partir des informations du CV, ce qui revient à standardiser l’analyse des CV. C’est l’option qui a été prise dans cette étude.

Concernant la performance professionnelle, les employés magasin saisonniers sont toujours évalués – en cours de CDD ou à la fin de leur CDD – par leur chef de rayon grâce à une fiche de « suivi des CDD ». Cette évaluation professionnelle comporte deux composantes :

  • Une évaluation dichotomique (« acquis » ou « non acquis ») de 3 dimensions : la prestation au travail (ex : connaissance des outils, organisation, utilisation du matériel), les qualités relationnelles (ex : capacité à travailler en équipe, sens du contact, autonomie), et les résultats (ex : productivité, propreté du rayon, balisage).
  • L’avis (favorable ou défavorable) du chef de rayon sur une reconduite éventuelle du contrat de l’employé.

L’analyse a consisté à identifier les dimensions du CV qui sont statistiquement liées à l’avis du chef de rayon. Les données analysées sont celles de 43 employés au cours des deux années précédentes. Les résultats montrent que 4 dimensions du CV sont significativement liées à l’avis du chef de rayon :

  • Avoir au moins deux expériences professionnelles, qu’elles soient saisonnières ou non (stages par exemple) ;
  • Avoir une formation en commerce (bac pro commerce, BTS force de vente, DUT technique de commercialisation, etc.) ;
  • Pratiquer une activité sportive régulière ;
  • Avoir au moins une expérience professionnelle dans la grande distribution en tant qu’employé magasin ou autre.

L’inventaire biographique développé correspond à ces 4 critères, chacun donnant lieu à un point dans le système de cotation.

Développement de l’entretien structuré

Les études sur la validité des méthodes de recrutement montrent sans appel que l’entretien structuré prédit mieux la performance professionnelle que l’entretien traditionnel.

L’entretien structuré a été construit au travers des étapes suivantes.

Etape 1 : Analyse du poste

Il s’agit de mettre à jour toutes les composantes qui vont concourir à la réussite du candidat dans le poste d’employé magasin :

  • Les connaissances qu’il doit posséder pour occuper le poste ;
  • Les aptitudes dont il devra faire preuve ;
  • Les diverses exigences (psychologiques, physiques, etc.) qui concourent à l’adaptation du candidat dans le poste.

Les différentes méthodes utilisées auprès des employés magasins et des chefs de rayon (observation, questionnaire, entretiens semi-directifs et incidents critiques) lors de l’analyse du travail ont permis d’établir une fiche de poste qui rend compte de ces différentes composantes.

Etape 2 : Elaboration des différentes questions de l’entretien

Les questions élaborées sont à la fois fermées et ouvertes. Les questions fermées sont utilisées pour évaluer les connaissances (2 questions) et le vocabulaire (2 questions) liés au poste, ainsi que la motivation liée aux contraintes professionnelles (4 questions).

Les questions ouvertes décrivent des situations prototypiques relatives au poste pour évaluer 4 dimensions chez le candidat :

  • Sa capacité d’organisation (2 questions)
  • Sa capacité à gérer des conflits (1 question)
  • Sa capacité à travailler en équipe (1 question)
  • Sa motivation (1 question)

L’ordre défini pour les questions était le suivant :

1. Questions de connaissances

2. Situations prototypiques :

  • Organisation (1)
  • Gestion de conflits
  • Motivation

3. Questions de motivation liées aux contraintes professionnelles

4. Suite situations prototypiques :

  • Organisation (2)
  • Travail en équipe

5. Questions de vocabulaire

Afin de mettre à l’aise les candidats et d’éviter un entretien trop « directif », certaines questions relevant de l’entretien traditionnel (prise de connaissance, présentation générale du candidat, etc.) étaient posées avant la partie structurée de l’entretien.

Etape 3 : Elaboration du système de cotation des réponses aux questions ouvertes

Ce travail concerne les questions relatives aux situations prototypiques, qui donnent lieu à des réponses ouvertes. Pour ces questions, une échelle en 10 points avec des ancres comportementales a été définie. L’exemple suivant indique une question et l’échelle de cotation associée pour évaluer la capacité d’organisation du candidat.

Question : Votre chef de rayon vous a chargé de mettre en rayon une palette de boîtes de conserves assez rapidement car il vous attend pour une autre tâche en réserve. Pendant que vous faîtes cela, une cliente vous demande de l’aider à chercher un article en magasin ne concernant pas votre rayon. Que faites-vous ?

Echelle de cotation :

  • 10 points : Même s’il me reste peu de temps pour terminer ma tâche, je renseigne la cliente au maximum et dans la mesure de mes possibilités. J’accélérerai la cadence pour finir ma tâche à temps. Si sa demande dépasse mes connaissances, j’appelle le vendeur du rayon concerné pour qu’il vienne rapidement la renseigner.
  • 5 points : Pendant que je continue à remplir mon rayon, je lui indique brièvement l’endroit où elle pourrait trouver l’article.
  • 0 point : Je lui explique que je n’ai pas le temps de répondre à se demande et je l’envoie se renseigner auprès d’un roller ou à l’accueil du magasin.

Test de la nouvelle procédure de recrutement

La procédure de recrutement optimisée a été mise en place pour le recrutement des employés magasin saisonniers lors de l’année en cours.

1) Réception des candidatures

300 CV ont été reçus (candidatures reçues suite à l’annonce et candidatures spontanées).

2) Présélection sur CV

La règle utilisée pour la présélection est : obtenir au moins 2 points à l’inventaire biographique.

La présélection est ainsi réalisée de façon actuarielle car elle repose exclusivement sur l’utilisation d’une règle objective (sans intervention humaine).

Au total, 124 candidats ont été présélectionnés.

3) Entretien de sélection

Sur les 124 candidats présélectionnés, 102 ont été reçus en entretien. Parmi eux :

  • 42 ont passé un entretien traditionnel (avec un chef de rayon)
  • 60 ont passé un entretien structuré (avec la personne qui a réalisé l’étude)

4) Sélection

L’objectif était de recruter 45 candidats. La règle utilisée pour la sélection de ces candidats est :

  • Pour ceux ayant passé l’entretien traditionnel : obtenir au moins 27 points (N = 19)
  • Pour ceux ayant passé l’entretien structuré : obtenir au moins 45 points (N = 26)

La sélection est elle aussi actuarielle : elle repose exclusivement sur l’utilisation d’une règle objective.

Résultats

Les analyses ont porté sur la validité prédictive de l’entretien structuré vs. traditionnel.

L’entretien traditionnel et l’entretien structuré produisent chacun un score (le prédicteur x), mais selon des grilles de cotation différentes. Par conséquent, l’étendue des scores varie entre les deux types d’entretien.

A cet égard, il faut noter que l’entretien traditionnel a été standardisé dans une certaine mesure : les recruteurs disposaient d’une grille d’entretien et d’une grille d’évaluation par laquelle ils évaluaient différents critères (formation et expérience professionnelle, compétences, savoir-être, motivation). Par conséquent, la comparaison entre l’entretien structuré et traditionnel était favorable au second.

Les candidats recrutés ont fait l’objet d’une évaluation professionnelle par leur chef de rayon (le critère y) environ un mois après leur prise de poste (les personnes ont démarré à partir du mois de juin et ont été évaluées à la fin du mois de juillet, soit au milieu de leur contrat).

Au moment où l’étude a été réalisée, cette évaluation professionnelle était disponible pour :

  • 15 des 19 candidats ayant obtenu au moins 27 points à l’entretien traditionnel
  • 18 des 26 candidats ayant obtenu au moins 45 points à l’entretien structuré

La corrélation observée entre l’évaluation professionnelle et :

  • les scores à l’entretien structuré est 0.39
  • les scores à l’entretien traditionnel est 0.16

Ces corrélations brutes sont cependant sous-estimées. Dans les d’études de validité prédictive, la corrélation prédicteur-critère (rxy) doit être corrigée pour la restriction de la variance [1]. En effet, rxy est calculée à partir d’un sous-ensemble restreint des scores au prédicteur (ceux des personnes en poste), et non à partir de l’ensemble initial des candidats.

Par exemple, chez les 60 candidats ayant passé l’entretien structuré, les scores s’étendent de 25 à 55, alors qu’ils s’étendent de 45 à 55 parmi les 18 candidats sélectionnés. Cette restriction de la variance du prédicteur entraîne une sous-estimation de la corrélation réelle. Ceci est très visible sur la figure ci-dessous.

Dans cette étude, les candidats présélectionnés ont ensuite été sélectionnés uniquement suivant leur score à l’entretien, la restriction de la variance est donc directe (elle serait indirecte si la sélection impliquait d’autres prédicteurs, par exemple le score à un test psychométrique). Dans ce cas de figure, la correction applicable est la formule de Thorndike cas 2 [2] :

Ux désigne le ratio entre l’écart-type du prédicteur chez tous les candidats (SD non restreint) et l’écart-type du prédicteur chez les candidats recrutés (SD restreint).

Entretien structuré

Sur les 102 candidats reçus en entretien, 60 candidats ont passé ce type d’entretien et 26 ont été sélectionnés. Cependant, en raison de contraintes pratiques, les données analysées portent sur 18 personnes. Dans ces données, le taux de sélection est donc 18/60 = 0.3. D’après Sackett et al. [1], un taux de sélection de 0.3 correspond à une valeur de Ux = 1/0.52 = 1.92.

La corrélation entre le score à l’entretien structuré et l’évaluation par le chef de rayon corrigée pour la restriction de la variance est donc :

Entretien traditionnel

Sur les 102 candidats reçus en entretien, 42 candidats ont passé ce type d’entretien et 19 ont été sélectionnés. En raison des mêmes contraintes pratiques, les données analysées portent sur 15 personnes. Dans ces données, le taux de sélection est donc 15/42 = 0.36. D’après Sackett et al. [1], un taux de sélection de 0.36 correspond à une valeur de Ux = 1/0.54 = 1.85.

La corrélation entre le score à l’entretien traditionnel et l’évaluation par le chef de rayon corrigée pour la restriction de la variance est donc :

Au final, la corrélation corrigée entre l’évaluation professionnelle et :

  • les scores à l’entretien structuré est 0.63
  • les scores à l’entretien traditionnel est 0.29

La validité prédictive de l’entretien structuré est très élevée : le score obtenu à cet entretien explique 40 % de la variance de l’évaluation professionnelle réalisée par le chef de rayon (contre 8.41 % pour l’entretien traditionnel).

La correction pour la restriction de la variance augmente l’écart de validité prédictive entre l’entretien structuré et l’entretien traditionnel, et renforce l’intérêt d’utiliser le premier.

Conclusion

Cette étude visait à optimiser la procédure de recrutement des employés magasin saisonniers pour un acteur majeur de la grande distribution. Conformément à la littérature scientifique, les résultats montrent que l’entretien structuré prédit beaucoup mieux la performance professionnelle que l’entretien traditionnel.

Cette étude illustre deux enseignements clés :

  • Une procédure de recrutement existante peut être significativement optimisée à faible coût. En particulier, le passage de l’entretien traditionnel à l’entretien structuré améliore substantiellement la qualité des candidats recrutés à moindre coût.
  • L’intérêt de mener des études de validité prédictive, qui permettent de démontrer la fiabilité du processus de recrutement à partir de données probantes.

Références

[1] Sackett, P. R., Zhang, C., Berry, C. M., & Lievens, F. (2022). Revisiting meta-analytic estimates of validity in personnel selection: Addressing systematic overcorrection for restriction of range. Journal of Applied Psychology, 107(11), 2040–2068.

[2] Thorndike, R. L. (1949). Personnel selection: Test and measurement techniques. New York: Wiley.

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