Recrutement

Les équipes de la NFL savent-elles recruter les bons joueurs ?

Malgré des enjeux financiers colossaux, l'analyse de la draft dans la Ligue nationale de football américain (NFL) révèle que les équipes peinent à sélectionner les meilleurs talents.

Les équipes de la NFL savent-elles recruter les bons joueurs ?

Le sport professionnel est un terrain d’observation idéal pour le recrutement, et ce pour au moins deux raisons :

  1. Les équipes sont réellement incitées à gagner et donc à recruter les meilleurs joueurs.
  2. La performance sportive est plus facile à mesurer que la performance professionnelle dans la plupart des métiers.

Je reprends ici une étude intéressante réalisée par l’économiste Richard Thaler et son collègue Cade Massey sur le recrutement des joueurs dans la National Football League (NFL), la ligue des 32 équipes professionnelles de football américain. Thaler a vulgarisé cette étude dans son excellent livre Misbehaving.

La draft NFL : comment fonctionne ce système de recrutement

Comme en NBA, la NFL recrute ses nouveaux joueurs (principalement issus des universités américaines) via un système de draft. Chaque année, la draft compte 7 tours : au premier tour, les choix vont du 1er au 32e, au deuxième tour du 33e au 64e, et ainsi de suite. Ce système a été conçu pour favoriser l’équilibre compétitif : les équipes les moins performantes la saison précédente obtiennent les premiers choix (le vainqueur du Super Bowl choisit en dernier).

En théorie, chaque équipe dispose d’un choix par tour, mais ce nombre peut varier car les choix se négocient sur un véritable marché : ils peuvent être échangés contre d’autres choix ou contre des joueurs.

La NFL est aussi un symbole du sport business : en 2025, le prix moyen d’une franchise NFL est de 2,34 milliards de dollars (les Dallas Cowboys valaient 10,32 milliards de dollars en 2024). En 2019, le budget des franchises de la NFL était de 452 millions de dollars, contre 275 millions d’euros en Premier League.

Avec de tels enjeux financiers, on pourrait s’attendre à ce que les équipes recrutent de façon optimale. Mais est-ce le cas ?

Le salary cap : pourquoi les joueurs sous-évalués sont la clé du succès

Contrairement au football européen ou au baseball, la NFL impose un plafond salarial (salary cap), qui limite la masse salariale annuelle de chaque équipe. Ce système empêche les plus riches d’acheter tous les meilleurs joueurs et vise à maintenir une parité compétitive.

Sous cette contrainte budgétaire, la clé pour bâtir une équipe compétitive est de recruter des joueurs sous-évalués : ceux dont le rendement dépasse leur coût salarial. Or, les équipes y parviennent rarement, car elles surévaluent souvent les premiers choix de draft.

La figure ci-dessous montre la rémunération (Compensation), la performance (Performance value) et la plus-value (Surplus) des joueurs lors de leurs 5 premières saisons, en fonction de leur position dans la draft.

Source : Massey & Thaler (2013).

On observe que :

  • La rémunération chute rapidement : les premiers choix coûtent beaucoup plus cher que les suivants.
  • La performance des joueurs diminue aussi à mesure que leur position dans la draft augmente, ce qui signifie que les équipes ont une certaine capacité à évaluer leur valeur.
  • Mais la plus-value est faible pour les premiers choix et atteint un pic au début du 2e tour (33e choix).

En clair, les équipes paient très cher pour les premiers choix, alors que ce ne sont pas ces joueurs qui offrent la meilleure plus-value.

Prédire la performance future des nouvelles recrues

Imaginons qu’on classe tous les joueurs d’un poste (quarterback, running back, etc.) selon leur position dans la draft. Si les équipes savaient vraiment évaluer le potentiel, un joueur choisi avant un autre au même poste devrait presque toujours être meilleur sur l’ensemble de sa carrière.

Mais la figure ci-dessous montre que ce n’est pas le cas. Deux indicateurs de performance sont utilisés : le nombre moyen de matchs par saison où le joueur a été titulaire, et sa probabilité de participer au Pro Bowl (le match des étoiles qui réunit les meilleurs joueurs de la ligue). Le graphique montre séparément les données pour les joueurs choisis lors du 1er tour de la draft (lignes en pointillés), et les données agrégées sur tous les tours (lignes en trait plein).

Source : Massey & Thaler (2005).

On voit que :

  • Les chances qu’un joueur soit titulaire dans plus de matchs que celui – évoluant au même poste – choisi juste après lui (lag 1) sont seulement de 53 %.
  • Cette probabilité est quasiment la même quand on considère le 2e joueur choisi après lui (lag 2), alors que ce dernier devrait être encore moins fort.

En résumé, les équipes font à peine mieux que le hasard quand elles prédisent la performance future des nouveaux joueurs, et ce malgré la masse de données dont elles disposent (rapports de scouts, tests physiques, performances universitaires, etc.).

Les équipes sont pourtant convaincues de faire les bons choix, et cet écart entre leur confiance subjective et la performance réelle des joueurs choisis traduit un excès de confiance dans leur jugement.

Conclusion

Le recrutement des nouveaux joueurs lors de la draft est loin d’être optimal, dans un contexte où les enjeux financiers sont pourtant considérables. Ces résultats devraient inviter tout recruteur à davantage d’humilité quant à sa capacité à identifier les talents. Comme l’écrit Richard Thaler, « n’oublions pas de nous en souvenir à chaque fois que nous recrutons quelqu’un en étant "certains" d’avoir trouvé le candidat parfait ».